Votre chef a-t-il atteint son seuil d’incompétence ?

Pittsburgh, 1995. McArthur Wheeler dévalise deux banques à visage découvert. Identifié par les caméras de surveillance, il avoue s’être enduit de jus de citron avant de passer à l’acte. Son raisonnement : le jus pouvant être utilisé comme encre sympathique, il devait le rendre invisible ! Deux psychologues américains, David Dunning et Justin Kruger, se demandent d’où lui vient cette confiance disproportionnée en son propre génie. Ils invitent alors des étudiants à s’autoévaluer et comparent ces appréciations à leurs compétences réelles. Le résultat, publié en 1999 dans le Journal of Personality and Social Psychology, est sans appel : les moins qualifiés se surestiment, tandis que les meilleurs du groupe se sous-évaluent. 

C’est que les incompétents n’ont aucune idée de l’ampleur du domaine dont ils se pensent expert ; en effet, « les qualités requises pour être bon dans une tâche sont souvent nécessaires pour reconnaître que l’on n’est pas bon dans cette tâche ». Les plus qualifiés, à l’inverse, ont tendance à imaginer que ce qui leur semble facile l’est pour tout le monde. Pire : si on tente d’annuler cet effet en montrant à la personne moins qualifiée qu’elle se trompe, elle pensera avoir raison contre la majorité ! Le seul moyen de supprimer le biais : s’améliorer suffisamment pour pouvoir réévaluer après coup sa performance passée. Nuance, cependant : en 2002, le psychologue Steven Heine reproduit le test en Asie, au cours duquel les participants se sous-évaluent massivement.

Par exemple, le 6 mars 2020, dans un hôpital d’Atlanta, le « génie très stable » Donald Trump vante son incroyable compréhension de la science héritée de son oncle, ingénieur électricien et inventeur : « Les médecins me disent : “comment en savez-vous autant ?”. Peut-être que j’ai une capacité naturelle. ». Six mois et 200 000 morts plus tard, on peut en douter…

Telle est précisément la situation problématique observée en 1970 par le psychologue canadien Laurence Peter, et que tout département de ressources humaines devrait prendre en considération. Le « principe de Peter » stipule qu’« au sein d’une hiérarchie, tout employé tend à s’élever jusqu’à son niveau d’incompétence » (Le Principe de Peter, 1970, co-écrit avec Raymond Hull). Par exemple, untel ayant été recruté afin de remplir un certain type de tâches, ses compétences et l’ardeur qu’il déploie finissent par être récompensées par une promotion. Par ce mécanisme, soutient le même Peter, « avec le temps, tout poste sera occupé par un employé incapable d’en assumer la responsabilité ». Cette incapacité patente remet en question, sinon sa position hiérarchique, du moins son autorité aux yeux de ses subordonnés. Les jalousies et le sentiment d’iniquité peuvent entraîner nombre de remises en question susceptibles, à leur tour, de menacer la cohésion du groupe.

La dialectique des compétences, de la hiérarchie et de l’autorité repose ainsi sur un équilibre aussi subtil que précaire. Il faut non seulement déterminer avec justesse quel individu aura les compétences nécessaires pour occuper un poste impliquant une plus grande responsabilité, mais également faire en sorte que celles et ceux qui seront appelés à devenir ses subordonnés puissent reconnaître son autorité, dans la mesure même où elle sera fondée sur ses compétences. Dans ces conditions, une structure entrepreneuriale s’apparenterait à une sorte de contrat social. Il relève alors de la responsabilité de chacun d’honorer sa part du contrat.

Source : Philonomist

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